QUATORZIEME COLLOQUE GRETSI - JUAN-LES-PINS - DU 13 AU 16 SEPTEMBRE 1993

MOMENTS DES SIGNAUX SONORES EN MILIEU MARIN ALEATOIRE

MODELISATION DES FLUCTUATIONS PAR UN BRUIT BLANC GAUSSIEN

EXTENSION AU CAS DU BRUIT BLANC LARGE BANDE

 

 

Claire NOEL1) 2) - M.C. PELISSIER 1) 3) - D.  HABAULT 4)

 

 

1) CERDSM- Chemin de la Gardiole - 83140 Six-Fours France

2) SEMANTIC TS- 8 Av du 11 Novembre - 83150 Bandol / Université de Toulon - MS/GESSY

3) Université de Toulon - MS/ETMA - BP132 - 83957 La Garde

4) CNRS/ Laboratoire de  Mécanique et d'Acoustique. 31 Chemin J.Aiuier - 13000 Marseille

 

 

RESUME

 

Le problème de l'évaluation de l'intensité et de la cohérence du signal sonore reçu par les systèmes de détection sous-marine est résolu en milieu déterministe. Dans cette étude on introduit une composante aléatoire dans la célérité du milieu modélisant les fluctuations aléatoires du milieu marin. Pour caractériser ces effets du milieu sur la propagation sonore, l'estimation des moments du champ sonore est nécessaire.

 On rappelle les équations de propagation des moments du champ sonore en milieu aléatoire en présence d'un bruit blanc gaussien (perturbations du milieu marin dues aux ondes internes): équations de propagation paraboliques des moments du champ sonore obtenues par Tatarskii. L'obtention de ces équations peut être généralisée dans le formalisme de Ito [1]. De plus alors, l'application du théorème limite de Papanicolaou-Kohler permet d'affaiblir les hypothèses sur l'indice de réfraction et d'estimer le domaine de validité des équations paraboliques des moments.

 

 ABSTRACT

 

Underwater acoustic signals received on an antenna are influenced by random oceanic fluctuations. The aim of this study is to characterize this influence by means of determining signal moments, intensity, and vertical coherence of the sound field.  

Ito's formalism is used in [1] to generalize the derivation of parabolic equations for all the moments of the sound field under assumption of white gaussian noise for the index of refraction. Ito's formalism is well adapted for relaxing the hypotheses of gaussian white noise; application of the Papanicolaou-Kohler theorem allows one to extend the validity of the numerical results to less restrictive hypotheses on the medium fluctuations for various estimated ranges of propagation.

 

 

1. Introduction

On se limite à un problème à deux dimensions: distance (r) et immersion(z), et on suppose que u(r,z), le champ sonore, vérifie l'équation parabolique standard (1) (approximation de l'équation de Helmholtz [1]) où le carré de l'indice de réfraction est décomposé en une partie déterministe et une partie aléatoire;     n2(r,z) = n02(z) + e(r,z):

 2ik0   +   k02 (n02(z) - 1 + e(r,z) ) u(r,z) = 0                   (1)

 

On montre [1] que dans le cas où les fluctuations prises en compte sont essentiellement dues aux ondes internes e(r,z) est directement relié aux fluctuations relatives de célérité.  Notre but est obtenir les équations de propagation vérifiées par le champ moyen <u(r,z)> et par la fonction d'autocorrélation verticale <u(r,z1)u*(r,z2)>. En appliquant à (1) l'opérateur moyenne sur un ensemble de réalisations, on obtient:

 2ik0  +     k02 ( n02(z) - 1)<u(r,z)> + k02 <e(r,z) u(r,z)> = 0        (2)

faisant apparaître la moyenne du champ <u>, ainsi que le moment mixte <e(r,z) u(r,z)>, qu'il faudrait exprimer en fonction des hypothèses: <e>, <e(r,z)e(r,z)> et de l'inconnue <u>.

2. Problème de fermeture

Ce problème de fermeture a été résolu (Tatarskii [2], A.Ishimaru [3]) dans le cas où e(r,z) est un bruit aléatoire gaussien, delta-corrélé dans la direction de propagation 'r' en utilisant la fonction­nelle de Novikov-Furutsu. (La fonction d'autocorrélation est une fonction Lh-corrélée où Lh est de l'ordre de 2000m.). Après avoir présenté brièvement ces résultats dans le cas parti­culier du moment d'ordre un, nous les avons retrouvé pour les deux premiers moments en utilisant le formalisme beaucoup plus récent de Itô [1]. L'équation vérifiée pour le moment d'ordre un est alors:

(2ik0 +  + k02n02(z) +  A(0,z) ) < u(r,z)  >  = 0          (3)

  la fonction A est reliée à la fonction d'autocorrélation des fluctuations par

Re (r, z, r', z') = <e(r,z) e(r',z')> = d(r-r') A (z-z',(z+z')/2) et  <e(r,z)> = 0

Ce formalisme permet de plus d'étendre la validité des équations paraboliques des moments obtenues par Tatarskii à des milieux décrits par des hypothèses moins restrictives, et ce par l'utilisation du théorème limite de Papanico­laou-Kohler. Nous montrerons ainsi que ces résultats restent valables dans le cas où e(r,z) est voisin d'un bruit blanc gaussien. Nous nous attacherons à montrer au travers de comparaisons avec des résultats expérimentaux que les hypothèses sur e(r,z) décrivent correc­tement les fluctuations d'indice du milieu marin dues aux ondes internes dans un certain domaine de validité que nous définirons. (Résultats présentés lors du poster).

3. Cas d'un bruit gaussien large bande

L'objectif est maintenant d'élargir les hypothèses sur le milieu en traitant le cas où e n'est plus tout à fait un bruit blanc gaussien mais un bruit gaussien large bande. On modélise cette fois le processus physique e(r,z) par une famille de processus en(r,z) (où n est un indice), qui tend vers un bruit blanc gaussien quand n tend vers 0. Le champ u est solution de (1) qui peut s'écrire (après semi-discrétisation selon l'axe des z) sous la forme (4):

du(r) = f(u(r)) dr  +  G(u(r)).en(r)dr                (4)

D'après le théorème limite de Papanicolaou-Kohler quand en(r,z) tend vers un bruit blanc gaussien, le processus u tend vers le processus u# qui est solution de l' Equation Différentielle Stochastique de Strato­novitch pouvant s'écrire sous la forme (5) [4] [5] [6]:

du#(r) = f(u#(r)) dr  +  G(u#(r)) o  dB(r)          (5)

                                               (E.D.S de Stratonovitch)

Donc, à la limite, quand n tend vers 0, le processus u tend vers le processus u# solution de l'E.D.S (5). On a montré dans [1] que cette E.D.S. aboutit après application de la formule de Itô à l'équation (3) pour les moments. Cette équation fournit donc une solution limite pour les moments. Cette solution limite est obtenue en résolvant les équations des moments (3). Elle demeure valable tant  que n admet une valeur assez faible, ce qui est réalisé sur une certaine distance de propagation. En effet, dans le cas où la longueur de corrélation des fluctuations dans la direction de la propagation Lh est  faible devant la distance de propagation, D.A.Dawson et G.C.Papanicolaou [6] ont  en partie justifié mathématiquement en 1984 les équations paraboliques des moments. Un changement d'échelle approprié sur l'axe de propagation leur permet de supposer mais pas de démontrer que la solution de l'équation parabolique est sur une distance assez grande mais non spécifiée, un processus de Markov en fonction de l'espace. Plus récemment B.Nair et B.S.White dans [5] appliquent le théorème de Papanicolaou-Kohler au cas de la propagation haute fréquence dans un milieu aléatoire homogène où la célérité du signal dans le milieu est de la forme: C(r) = C0 (1 + sC(r)), où C(r) est un champ aléatoire centré de variance s. Ils obtiennent ainsi le processus limite et montrent que cette limite est valable sur des distances de propagation de l'ordre de   s-2/3.

Nous allons appliquer le théorème de Papanicolaou-Kohler au cas du milieu marin hétérogène aléatoire et déterminer la zone de validité du processus limite en fonction des critères suivants: fréquence, distance de propagation, longueurs de corrélation des fluctuations de célérité dans la direction de propagation, variance des fluctuations de célérité...

Le champ sonore u vérifie l'équation (1-bis):

  =   ik0/2 (n02(z)-1) u +  i/2k0 + ik0/2 e(r,z)u   (1-bis)

Les hypothèses sur les fluctuations de l'indice de réfraction, sont telles que la fonction d'autocorrélation est de forme gaussienne et peut s'écrire:

<e(r,z)e(r',z')> = eo2(z)   

avec donc <e(r,z)2> = eo2(z)   

Effectuons sur cette fonction de corrélation le changement de variable  ,  r est alors sans dimension, tandis que n est en m-1/2:

<e(,z)e(,z')> = eo2(z)  

Il suffit alors de choisir le processus en tel que:

<en(r,z)en(r',z')> = <e(,z)e( ,z')>

= eo2(z) Lh      

dont la largeur de bande est     .

Quand n tend vers 0, la gaussienne [  ] tend vers une fonction de Dirac d(r-r') et donc en tend vers un bruit blanc gaussien. La variance de ce bruit blanc gaussien limite est:

 

 s = eo2(z)  Lh  Lv.

On note:    en =  s   en   en est un bruit blanc gaussien de variance 1.

Le changement de variable  r    appliqué à l'équation (1-bis) donne:

     =    [ + k0(n02(z)-1)]    +  s   en(,z)  u   

Le théorème de Papanicolaou-Kohler [7] permet d'affirmer que, si le premier terme du membre de droite est en O(1) et le deuxième en O(1/n), alors u vérifie l'équation (3) sur un intervalle en r de l'ordre de O(1/n2) [4] [5] [6]. Les hypothèses du théorème de Papanicolaou-Kohler supposent donc que:

 [ + k0(n02(z)-1)] = O(n2)

 

  s = O(1) et impliquent alors la validité du modèle limite, c'est-à-dire de l'équation (3) sur une distance de propagation, D, de l'ordre de .

Il reste à les confronter à l'expérience: les tableaux suivants présentent les domaines de validité de l'équation (3) en milieu homogène, ordre de grandeur (en km) de D: O(D) et valeurs (en Hz) de la fréquence, dans les deux cas d'un milieu faiblement aléatoire et d'un milieu aléatoire (valeurs extrêmes et moyennes des paramètres donnés par S.Flatté dans [9]).

 

Tableau T1-a) Paramètres du milieu N°1

 

Milieu faiblement aléatoire

kv2

1 10-6

Lh

50 000m

Lv

1 000m

cel

1 500ms-1

 

Tableau T2-a) Paramètres du milieu N°2

 

Milieu aléatoire

kv2

1 10-4

Lh

2 000m

Lv

100m

cel

1 500ms-1

 

T1-b): Distance de validité en km:

 

Fréquence

O(D) en km

10

84

50

419

100

838

500

4 189

1 000

8 378

5 000

41 888

10 000

83 776

100 000

837 758

T2-b): Distance de validité en km:

 

Fréquence O(D) en km

10

1

50

4

100

8

500

42

1 000

84

5 000

419

10 000

838

100 000

8 378

T1-c): Zones   de   validité   fréquentielle   pour lesquelles   k0s/2   est   en  O(1)   (En gras):

 

Fréq/e0 1 10-4 5 10-4 1 10-3

10

0,04

0,19

0,37

50

0,19

0,93

1,86

100

0,37

1,86

3,71

500

1,86

9,28

18,56

1 000

3,71

18,56

37,12

5 000

18,56

92,81

185,61

10 000

37,12

185,61

371,22

100 000

371,22

1 856,11

3 712,22

 

T2-c): Zones   de   validité   fréquentielle   pour lesquelles   k0s/2   est   en  O(1)   (En gras):

 

Fréq /e0 1 10-4 5 10-4 1 10-3

10

0,00

0,01

0,02

50

0,01

0,06

0,12

100

0,02

0,12

0,23

500

0,12

0,59

1,17

1 000

0,23

1,17

2,35

5 000

1,17

5,87

11,74

10 000

2,35

11,74

23,48

100 000

23,48

117,39

234,78

 

 

- On constate que dans le cas d'un milieu faiblement aléatoire:

kv2  = 10-6, Lh = 50 000m, Lv = 1 000m, e0 = 5 10-4, et pour une fréquence de 100Hz, l'équation (3) décrit correctement le processus physique sur environ 850km.

- Dans le cas d'un milieu aléatoire:

kv2  =  10-4, Lh = 2 000m, Lv = 100m, e0 = 10-3, et pour une fréquence de 500Hz, l'équation (3) décrit correctement le processus physique sur environ 40km.

- Enfin, pour donner des ordres de grandeur dans un cas intermédiaire:

kv2  = 4 10-6, Lh = 10 000m, Lv = 500m, e0 = 5 10-4, et pour une fréquence de 300Hz, l'équation (3) décrit correctement le processus physique sur environ 200km.

Ces ordres de grandeur permettent de retrouver le fait que lorsque le milieu est plus aléatoire la zone de validité de (3) se déplace vers les hautes fréquences et donc que, pour des valeurs données des paramètres du milieu, l'hypothèse de delta-corrélation sera d'autant plus réaliste que la fréquence sera élevée.

4. Etude statistique pour validation des hypothèses sur les fluctuations

Nous présenterons lors du poster les résultats concernant la comparaison entre une expérimentation in-situ en mer de Norvège et la simulation statistique associée. On étudie l'évolution du champ sonore moyen dans le cas d'un milieu décrit avec des bathycélérimétries mesurées et avec des bathycélérimétries simulées vérifiant les hypothèses présentées ici.  Les résultats présentent les mêmes ordres de grandeurs attestant du réalisme des hypothèses faites sur les fluctuations du milieu marin.

5. Conclusions

Si l'utilisation du formalisme de Itô permet directement d'obtenir toutes les équations de propagation des différents moments (cf. [1]), il permet surtout d'élargir les hypothèses sur le milieu marin et de traiter le cas de la propagation du son en présence d'un bruit qui n'est plus blanc gaussien. L'application du théorème de Papanicolaou-Kohler aboutit à la définition des zones de validité des équations paraboliques des moments exprimées en terme de distance de propagation, de longueurs de corrélations spatiales, de moyenne quadratique des fluctuations de célérité, de fréquence.

L'étude de la propagation sonore en milieu marin à l'aide du formalisme de Itô constitue une approche assez nouvelle dans le domaine et permet d'aborder le problème sous un autre angle, avec à disposition de nombreux outils mathématiques développés grâce à la théorie de Itô. Nous pourrions poursuivre cette étude, par exemple en utilisant les résultats sur les E.D.S. obtenus par R.Bouc et E.Pardoux et établis dans le cas de fluctuations de célérité de la forme e(r,z) = e(r)j(z)  [8], ce qui permettrait d'obtenir le même type de résultat concernant les moments. Le problème reste alors de vérifier le réalisme d'hypothèses plus fines sur les fluctuations de célérité, compte tenu du manque de données disponibles sur les fluctuations.

Cette étude fait partie d'un travail plus général développé dans [1]. Trois méthodes de calculs des moments du champ sonore y sont présentées: une étude statistique de type Monte-Carlo pour les moments d'ordres un et deux, une étude numérique basée sur les méthodes paraboliques pour le moment d'ordre un et enfin, une méthode modale résolvant les équations paraboliques stochastiques du moment d'ordre deux pour aboutir à l'intensité sonore moyenne et à l'autocorrélation verticale, ou encore à la densité angulaire d'énergie. La comparaison des résultats et leur convergence permettent de valider ces méthodes. Elles révèlent que l'intensité sonore en milieu aléatoire admet des perturbations pouvant atteindre 8dB. Dans le cas de bathycélérimétries perturbées prélevées expérimentalement, on retrouve des écarts du même ordre de grandeur qui pourraient donc s'expliquer par la présence d'ondes internes.

Cette étude répond en partie aux besoins actuels quant à la détermination stochastique des deux premiers moments du champ sonore en milieu aléatoire à basses fréquences.

6. Bibliographie

[1] C.NOEL. Propagation des signaux sonores en milieu marin aléatoire. Thèse de doctorat. Aix Marseille II, Jv 1993.

[2] VI KLYATSKIN and VI TATARSKII. The parabolic equation approximation for propagation of waves in a medium with random inhomogeneities. Soviet Physics jetp vol 31, n°2 pp335-339, aout 1970

[3] A. ISHIMARU. Wave propagation in random media. Volume 2, 1978, Academic Press.

[4] RA IBRAHIM. Prametric random vibration. Research Studies Press Ltd, John Wiley&sons, England 1985.

[5] B. NAIR and BS WHITE. High Frequency wave propagation in random media. A unified approach. SIAM J. Appl. Math. Vol 51 n°2, pp374-411, Avril 91.

[6] D DAWSON & GC PAPANICOLAOU. A random wave process. Appl. Math. Optim., 12; 97-114, 1984.

[7] JB ROBERTS and PD SPANOS. Stochastic averaging: an approximate method of solving random vibration problems. Journal of non-linear mechanics, Vol 21, n°2, pp111/113, 1986.

[8] R BOUC et E PARDOUX. Moments of semilinear random evolutions. SIAM J. Appl. Math. Vol 41, N°2 pp370-399, Oct 1981.

[9] S. FLATTE and Al. Sound transmission through a fluctuating ocean, 1979, Cambridge Press University, 1979.