3 èmes Journées d’études ACOUSTIQUE SOUS-MARINE

Brest - 22 - 23 Juin 1994

 

Réception de signaux tomographiques sur l’antenne verticale de Cap Ferrat: Expérimentation Ferrat 94.

 

 

C. NOEL 1)  - C. VIALA 1)                       F. EVENNOU 2)  - Y. STEPHAN 2)

                            M. ALOMBERT 3) - L. CHAUVIN 3)

1) Société SEMANTIC TS - 8 Av du 11 Novembre - 83150 Bandol - France

2) E.P.S.H.O.M. - Centre Militaire d'Océanographie - BP 426 Brest Cedex

3) D.C.N. Toulon. CTSN/DLSM - 83800 TOULON Naval

I.        Résumé

Le présent papier présente l’expérimentation qui s’est déroulée en Septembre 1994 sur le site de la DCN de Saint Jean Cap Ferrat.

Cette manip a consisté tout d’abord à réaliser quinze jours durant l'acquisition sur l'antenne verticale du Cap Ferrat des signaux tomographiques émis jusqu'en septembre 1994 par les prestataires d'un contrat MAST (Université de Kiel, Ifremer Brest, Cephag Grenoble) sur un projet de tomographie acoustique de la Méditerranée.

Elle a été motivée par les difficultés rencontrées lorsque l’on cherche à identifier les trajets sonores reçus à l’aide d’informations concernant uniquement les temps de trajets. En effet, certains trajets ayant des trajectoires différentes, et ayant donc échantillonné spatialement l’océan de manière différente peuvent arriver au même instant et ne pas être par conséquent temporellement séparables. Une information angulaire permettrait alors de lever le doute. Les installations de la DCN de Saint Jean Cap Ferrat étaient équipées d’un nombre suffisant d’hydrophones pour pouvoir conduire une expérimentation significative sur la mesure des angles d’arrivées des rayons sonores.

Les objectifs de cette expérimentation étaient donc de vérifier à partir de mesures réelles, le gain d'une estimation conjointe temps-site par rapport à une estimation uniquement temporelle, des réceptions de signaux tomographiques dans un but d'identification des trajets sonores.

Les signaux mesurés ont été ensuite traités temporellement et angulairement afin d'établir les diagrammes temps-site mesurés et les résultats ont été analysés du point de vue de l'identification de trajets acoustiques.

Les allures générales des résultats des mesures correspondent à celles prédites par la théorie.

L’analyse des diagrammes Temps-Site et de leurs suivis au cours de la campagne montre que l’antenne permet de séparer angulairement des pics d’arrivée arrivant simultanément.

II.     Configuration de l’expérimentation

L’expérimentation a consisté a recevoir pendant 15 jours à raison d’une fois toutes les quatre heures sur l’antenne verticale (AV1) des installations de la DCN à Cap Ferrat les signaux tomographiques émis par les instruments tomographiques W5, W4, W2 et S localisés en méditerranée occidentale (c.f. carte ci-dessous).

Les distances de propagation varient de 150 km environ pour AV1-W5 à 760 km pour AV1-W2.

Chaque engin émettait 6 fois par jour trente séquences de 5.11 secondes d’un signal temporel réalisé à l’aide d’une SBLM (séquence binaire pseudo-aléatoire) utilisée pour moduler en phase une porteuse acoustique à 400 Hz. (Modulation PSK)

L’antenne verticale de réception comportait 43 hydrophones répartis sur 40 m. Des enregistrements ont aussi été réalisés sur une ligne de 7 hydrophones (F1) de longueur totale 200 m afin de disposer d’informations supplémentaires pour un meilleur suivi des fronts d’onde.

III.  Acquisition et traitements

Compte tenu de la récurrence et des heures d’arrivée des signaux l’acquisition a été effectuée à l’aide du système de pilotage automatique des systèmes d’acquisition du centre. Les signaux reçus sur les 43 hydrophones sont stockés sur bandes magnétiques. Ces bandes ont été ensuite relues et numérisées sur 16 voies en temps différé, fournissant des signaux bruts de traitement relatifs à 16 hydrophones d’intérêt (Les lobes de l’antenne ainsi constituée sont présentés à la page suivante).

Le synoptique suivant présente la chaîne d’acquisition relative à AV1:

Le premier traitement appliqué à ces signaux bruts numérisés a pour objet de moyenner les 30 séquences de 5.11s reçues afin d’obtenir une séquence moyenne de 5,11s échantillonnée à 1600 Hz et donc de 8176 points. Cette séquence est complétée par les 16 premiers échantillons moyens pour obtenir une séquence de 8192 points pour le filtrage adapté.

A l’issue de ces moyennage, on effectue une formation de voies à partir des 16 séquences temporelles moyennées. Compte tenu de la topologie de l’antenne, des hydrophones finalement retenus et des coefficients de pondération adoptés pour repousser le premier lobe secondaire gênant, les lobes de AV1 sont les suivants:

Lobes de l’antenne pour une pondération en sin2

Antenne idéale (en rouge) . Antenne réelle sans pondération (en vert). Antenne utilisée avec pondérations (en bleu)

Compte tenu des prévisions apportées par les simulations de propagation, l’excursion angulaire a été limitée à [-24°, 24°]. Nous avons constaté, après essais, que la précision apportée avec un pas de balayage angulaire inférieur à 1° n’était pas significative, le pas a donc été fixé à 1°, soit 49 voies angulaires.

Pour chacune de ces voies, nous avons alors réalisé le filtrage adapté à la séquence de référence, doublée dans le temps pour conserver le gain de filtrage adapté (i.e. pour s’affranchir de la modulation triangulaire de l’autocorrélation).

Le schéma d’ensemble des traitements est présenté sur le synoptique suivant. Ces traitements aboutissent à des schémas temporels d’arrivée (présentant pour les 16 hydrophones l’intensité sonore reçue au cours du temps) et à des diagrammes Temps-Site fournissant pour chaque voie angulaire l’intensité sonore reçue en fonction du temps. Ces traitements ont été appliqués à l’ensemble des données recueillies durant la campagne et un catalogue des diagrammes Temps-Site obtenus pour S, W2, W4 et W5 a été établi.

Schéma d’ensemble des traitements:

La figure suivante présente un exemple de diagramme Temps-Site obtenu. On y distingue les pics d’intensité relatifs aux diverses arrivées des trajets sonores.

Diagramme Temps-Site d’après mesures du 22 Septembre:

IV.   Suivi temporel de pics dans le diagramme Temps-Site

Une trentaine de pics de corrélation sont nettement visibles à l’œil nu dans le diagramme Temps-Site, toutefois cette représentation ne permet pas de juger de la continuité du mouvement d’un enregistrement à l’autre.

Des suivis journaliers ont alors été réalisés pour quelques sites angulaires privilégiés, après récalage des amplitudes. L’amplitude des arrivées dans ces sites est représentée en fonction du temps et de l’heure d’acquisition comptée depuis le début du mois. (Exemple: le 19/09 à 11h, le nombre d’heures écoulées depuis le 1er septembre est de 467, à 15h il est de 471 etc...).

Les graphes suivants présentent des suivis relatifs à W4. Les temps d’arrivée se répartissent dans ce cas sur environ 1 s au lieu de 400 ms dans le cas de W5. De là, résulte un espacement plus important des paquets de rayons et une meilleure séparabilité de ces groupes.

 

W4: Diagramme Amplitude en fonction du temps et de l’heure pour les sites d’arrivée entre -10°  et -11°

 

La flèche rouge indique un nouveau suivi mis en évidence, la flèche bleue indique la prolongation d’un suivi qui apparaît de façon plus évidente dans un secteur angulaire voisin. Une étude quantitative plus approfondie permettrait après recalage, de s’assurer qu’il s’agit d’un seul rayon propre, ou de plusieurs rayons propres voisins séparables ou non.

En observant les arrivées dans certains secteurs angulaires, on met clairement en évidence le suivi d’une vingtaine de trajets. Ces trajets, qui ne sont pas toujours séparables temporellement, le deviennent après avoir réaliser un premier tri sur le site d’arrivée et ils sont stables durant les 15 jours de l’expérimentation. On peut considérer que ces trajets sont identifiables les uns par rapport aux autres.

La flèche rouge indique un nouveau suivi mis en évidence, la flèche bleue indique la prolongation d’un suivi qui apparaît de façon plus évidente dans un secteur angulaire voisin. Une étude quantitative plus approfondie permettrait après recalage, de s’assurer qu’il s’agit d’un seul rayon propre, ou de plusieurs rayons propres voisins séparables ou non.

En observant les arrivées dans certains secteurs angulaires, on met clairement en évidence le suivi d’une vingtaine de trajets. Ces trajets, qui ne sont pas toujours séparables temporellement, le deviennent après avoir réaliser un premier tri sur le site d’arrivée et ils sont stables durant les 15 jours de l’expérimentation. On peut considérer que ces trajets sont identifiables les uns par rapport aux autres.

Se pose à présent le problème de l’identification absolue et de l’extraction. En effet si ces informations qualitatives suffisent pour juger de l’intérêt d’une antenne en tomographie et pour faire quelques premières comparaisons avec les résultats de modélisation, elles doivent être quantifiées si l’on veut pouvoir inverser les données et retrouver l’évolution des bathycélérimétries au cours du temps. Il faut donc déterminer pour chaque rayon propre ses temps et angles d’arrivée.

Compte tenu du fait qu’on observe une trentaine de pics environ pour chaque diagramme Temps-Site obtenu, le problème est donc être de mettre au point une routine d’extraction automatique de ces pics d’arrivée, déterminant les maxima relatifs supérieurs à un seuil et stockant leurs caractéristiques (temps, site, amplitude).

Ce problème s’est avéré très délicat, et bien que l’information soit présente, il n’est pas évident de construire un algorithme d’extraction valable et performant pour toutes les zones du diagramme. Nous avons tenté d’approcher le problème et réalisé quelques essais sur W5 et W4. C’est l’objet de la figure suivante qui présente les résultats d’une méthode d’extraction par seuillage. Les points extraits sont représentés de couleurs différentes selon la valeur du coefficient constant de seuil. Un contrôle visuel permet de valider le seuil jugé adéquat.

Dans l’exemple suivant, on constate que les pics détectés (croix bleues), se situent sur une courbe d’allure générale parabolique entre 12° et -12°, comme le prévoient les simulations.

Exemples de résultats des extractions dans les cas de W5 du 28 septembre à 03 h et du 22 à 19h.

 

dt = 5.62 ms,              dq = 3°

Dt = 16.87 ms,           Dq = 9°

 

En magenta:             Points dont le niveau est supérieur à 2 fois le seuil

En rouge:  Points dont le niveau est supérieur à 1.8 fois le seuil (seuil sélectionné)

En vert:      Points dont le niveau est supérieur à 1.5 fois le seuil

En jaune:   Points dont le niveau est supérieur à 1.2 fois le seuil

En bleu:     Points sélectionnés et stockés

Si la détection automatique est aisée pour les sites faibles et les arrivées tardives, elle reste délicate pour les arrivées intermédiaires et il faudrait envisager le développement de méthodes plus spécifiques relevant du traitement d’image.

V.      Simulations de propagation

Des diagrammes Temps-Site théoriques ont été établis à l’aide du logiciel RAYSON de modélisation de la propagation par une méthode de rayons déterminant la trajectoire des différents trajets sonores (immersion et angle d’arrivée) ainsi que leur temps de trajet. A partir de ces diagrammes Temps-Site théoriques nous avons effectué des simulations numériques ayant pour but de déterminer les sorties théoriques d’antenne. Le problème posé est le suivant: chaque Dirac de l’espace Temps-Site (ti, qi) est en réalité déformé par le filtrage adapté dont le pic de corrélation n’est pas infiniment étroit et par l’antenne dont la directivité est décrite par les lobes. On cherche donc l’allure de la surface résultante de l’élargissement de ces Diracs (d( t-ti, q- qi) ).

Soit n le nombre de rayons propres, le diagramme Temps-Site théorique est défini par la fonction I telle que:

     I(t, q) = å(i=1, n)  d( t-ti, q- qi)

Après filtrage adapté et formation de voies, on obtient la fonction amplitude A du temps et du site telle que:

     A(t, q) = I(t, q) * P(t) * F(q)

     avec         P(t):     Fonction d’autocorrélation du signal de référence

         F(q):    Directivité de l’antenne

         * désignant l’opération de convolution

Les sorties théoriques d’antenne sont donc obtenues après convolutions des diagrammes Temps-Site théoriques par la fonction l’autocorrélation de la PSK et par la directivité de l’antenne.

Les résultats relatifs à W5 sont présentés sur le graphe suivant, résultat de la double corrélation. Il est à comparer directement avec les diagrammes Temps-Site obtenus à partir des mesures.

Diagramme Temps-Site simulé

VI.   Analyse comparative modélisation-expérimentation et conclusions

En ce qui concerne les résultats relatifs à  W5 et à W4, les allures des diagrammes Temps-Site sont du même type que celle du diagramme théorique; on retrouve certaines constantes sur les deux types de graphes, à savoir:

- la forme de courbe sur laquelle sont localisés les pics d’arrivée,

- l’étalement temporel des arrivées (sur 600 ms pour W5 et  1.2 s pour W4),

- l’élargissement angulaire et temporel de ces pics,

- les espacements entre les pics et leur groupement en paquets de rayons,

- l’évolution dans le temps des niveaux d’amplitude des arrivées, avec des paquets d’arrivées tardifs les plus forts et un groupe de rayons plus intenses que l’ensemble et arrivant environ 250 ms avant le dernier pour W5 et 500 ms avant pour W4.

Si les allures des diagrammes Temps-Site théorique et mesurés sont semblables, si l’on retrouve assurément bon nombre de caractéristiques, la ressemblance est loin d’être parfaite.

Ceci est dû en partie à la modélisation en milieu stratifié qui ne représente qu’un cas réel « moyen ». Une modélisation statistique faisant varier le milieu de manière évolutive avec la distance de propagation et des fluctuations aléatoires du profil permettrait de donner les zones probables d’arrivée autour du pic moyen. On pourrait peut-être alors vérifier que les arrivées mesurées demeurent dans cette zone probable d’un enregistrement à l’autre.

Une seconde source de divergence provient de la précision de modélisation du fond qui est essentielle dans la zone d’arrivée (quelques kilomètres avant l’antenne) si l’on souhaite tirer des conclusions pertinentes quant aux rayons réfléchis sur le fond.

Enfin, certaines arrivées sont plus sensibles aux conditions de surface, qui ne sont pas prises en compte dans la modélisation alors que les conditions météorologiques ont énormément varier durant la campagne notamment autour de l’antenne en raison du passage d’une dépression. Les résultats relatifs à W5 pourraient d’ailleurs en être les plus affectés.

Il est manifeste que les allures générales des résultats des mesures correspondent à celles prédites par la théorie. De plus les informations manquantes relatives à la dérive des horloges et aux inclinaisons des lignes pourront encore probablement les améliorer.

L’analyse des diagrammes Temps-Site et de leurs suivis au cours de la campagne montre que l’antenne permet de séparer angulairement des pics d’arrivée qui arrivaient simultanément. Ces diagrammes posent le problème de la gestion de ce grand nombre d’informations portés sur un seul graphe devenant trop dense ainsi que la question de leur extraction.

Si l’information est visible à l’oeil nu, le problème de l’identification automatique reste donc crucial, dû au manque tout d’abord de procédés pertinents d’extraction et ensuite de méthodes de représentation de suivis temporels de ces résultats d’extraction. Il faudrait faire appel aux techniques utilisées en traitement d’images et notamment dans les problèmes de reconnaissance des maxima de fonctions d’ambiguïté à deux dimensions, et adapter ces méthodes à ce problème.

Une autre approche, de type matched field à deux dimensions, permettrait de résoudre en même temps le problème de l’identification et de l’inversion.

Elle consisterait à calculer le diagramme Temps-Site théorique (calcul des rayons propres, convolution temporelle avec l’autocorrélation du signal de référence, convolution angulaire avec la directivité de l’antenne) puis à en faire la corrélation à deux dimensions avec le diagramme Temps-Site mesuré.

On cherche alors à maximiser cette corrélation en cherchant le diagramme Temps-Site théorique qui « colle » le mieux à l’expérimental, et ce en faisant varier le profil de célérité.

L’intérêt d’une telle méthode dépend alors de la précision escomptée sur le profil de célérité, mais si l’on admet que celui varie essentiellement sur les quelques premières centaines de mètres et que l’on constate que le calcul des rayons propres dans le cas de W5 prend quelques minutes, cette approche n’est pas à rejeter. On objecte souvent qu’elle est trop longue et converge souvent mal pour une grande précision de détermination de la célérité. Il faut noter de plus la difficulté qui réside dans la définition du critère de convergence. Mais en première étape, pour trouver un milieu bathycélérimétrique approché, elle est probablement assez rapide et en tout cas pertinente, au sens où elle fournit alors une bonne solution au problème de l’identification, si elle demeure encore mauvaise pour l’inversion en raison de problèmes de convergence et de temps de calcul.

Cette étude a été financée par le C.M.O. sous le contrat N°3610 EPSHOM/CMO/ASF du 21/09/94.